16 octobre 2010
4 octobre 2010
Jules et Jim
5 septembre 2010
Têtu
#jeveuxetreunsupersonique
Le ciel était bleu. Je voulais tellement célébrer mon dernier jour de stage que je n’ai pas hésité. J’ai enfilé une petite robe corail, des sandales bridées et j’ai affronté le tout Paris, celui aux gens tristes et ternes qui se cachent sous de longs trenchs sombres et osent déjà porter la collection automne hiver. En fait l’azur n’était qu’un artifice, il faisait 10 degrés et le vent était glacial. Je m’étais bel et bien fourvoyée. Mes jambes nues et huilées faisaient jaser dans le métro. Je les voyais tous hausser les sourcils derrière leurs journaux gratuits, attentifs au moindre de mes frissons pour mieux se délecter. Dans une semaine, ces même rapaces liront le très attendu Houellebecq et leurs regards méprisants se jetteront alors sur ceux qui auront l’affront de terminer leur ouvrage estival, à la couverture sableuse et collante qui rappelle l’océan.
Leur moqueries m’importaient peu, le soir même je m’envolais là où le soleil brule la peau et où les dédaigneux ont la vie dure.
Sur place, je retrouve un vieil ami devenu pilote, loin de ressembler à Tom Cruise dans Top Gun, mais tout autant séduisant. Après avoir évoqué les vieux souvenirs des années lycées et cassé du sucre sur nos rivaux de l’époque, je sens qu’il commence à amener la discussion sur son sujet de prédilection… l’aéronautique. C’est un thème épineux que je ne maitrise en aucun point et qui me provoque régulièrement des bâillements incontrôlables. Je tente le tout pour le tout et j’évoque en pagaille Master Chef/la mort de Fignon/le vernis fluo pour les ongles de pied/les Universités d’été/les toc chez les enfants mais c’est un #fail grandiose.
Et son récit commence. Il me raconte qu’il a longtemps pris les commandes d’un Airbus A380, stable et immuable. Il le connaissait par cœur, il savait parfaitement comment le manœuvrer et le guider, il n’avait plus de secrets pour lui. Mais le mois dernier, lors d’un long courrier, l’atterrissage s’est mal passé. Depuis, il renonce d’en entendre parler et jure qu’il ne remontra jamais à son bord.
« Non, ce sera toujours trop compliqué».
28 août 2010
Just another of those glory days
5 août 2010
Make an educated guess
4 août 2010
Life in plastic, it's fantastic

Le quartier des filles faciles et de la littérature compliquée
« La vie même quand ça se passe bien ça se termine mal. »
Souvent à l’écart, comme suspendu dans un monde à part, il n’est pas asocial, mais il a peur des autres. C’est différent, j’y tiens. Les autres le forcent toujours à être quelqu’un, alors que lui n’est lui que quand il est seul. Physiquement, il n’a rien qui retienne particulièrement l’attention. Il n’est pas très grand, pas spécialement fort ni vraiment beau. Il mène une existence à demi-mot qui tient un peu de l’absurde. À sa noirceur apparente, je mêle une sorte de candeur mâtinée de violence. C’est cette idée de « bonne mauvaise humeur » qui m’a d’abord intéressée.
Terrifié à l’idée qu’il aurait pu être ce que l’on appelle un être « normal », je l’invente hanté par le thème du miroir et de Narcisse. S’arrachant au monde commun, il s’érige en sujet unique et aime à se mirer. À force de se contempler et de s’exalter, son regard transforme tout le reste en objet de conquête. Ne reconnaissant plus d’autre sujet autour de lui, il se prive – volontiers ? malgré lui ? – d’interlocuteurs ou de pairs. Peut-il alors réellement échapper à la solitude ?
Intriguée par cette personnalité en construction, j’observe, je décortique, j’analyse, je construis, je détruis. Je deviens curieuse de savoir comment quelqu’un à ce point dans le déni de l’autre pourrait évoluer face à sa rencontre avec l’amour qu’il ne cherche ni ne veut. Patiemment, progressivement, insidieusement, je tombe amoureuse de mon héros compliqué. Je lui invente des secrets parfois, des excuses souvent. Il parle peu, mais il écrit beaucoup pour s’exprimer. C’est une thérapie joyeuse dont nous usons et abusons avec délectation. Et heureusement car sans ça, du bilan psychiatrique au fait divers, tout était envisageable.
Plus je pénètre profondément en lui, plus sa personnalité embrouillée me résiste. Animée par son brillant esprit de contradiction, je dois envisager nos rapports comme un perpétuel combat dont il faut sortir vainqueur. Au fond nous cherchons la simplicité, l’émerveillement, mais cela passe toujours par des schémas compliqués. Stupéfiant licite disponible en tout lieu, je me surprends à l’imaginer dans toute sa chair sans trop savoir lequel de nous deux se blesse le plus dans ce périlleux exercice d’équilibre.
À force d’être ensemble nous devenons autant complémentaires qu’antinomiques. Il est très nerveux. Il est aussi sentimental, et comme la plupart des hommes sentimentaux, il est tout ensemble cruel et trompé. Les hommes sentimentaux sont si souvent trahis. Son acidité rectifie ma propension à être trop douce, à toujours vouloir attendre un oui alors que c'est non. Enfin peut-être. Mais son personnage dégénère, déteint. Je me perds en voulant à tout prix apporter ma vision du bonheur à cette âme étrangère. Son côté cactus « Ne me touche pas. Admire moi. » m’agite, me tourmente, me désespère. Je me fatigue de sa capacité à faire tourner les autres dans son manège pendant que lui tourne sur lui-même comme autour d'un axe.
Cet axe, c'est ma fidélité à lui-même. Mais elle en fait un terrain stérile sur lequel il impose une dictature amère qui génère en moi un besoin de consolation impossible à rassasier. Tout en lui reste enfoui. Comme un désert. Un vide d’abord enivrant mais dans lequel on ne peut finalement rien construire. Il m’évoque le néant. Le repli. L’oubli. Exaspérée, je finis par le remiser au fond de la corbeille à papier avec tous les autres.
Comme un enfant qui change tout le temps, qui se lasse vite, je ne me retourne pas. Ma curiosité était évanouie depuis longtemps.
14 juillet 2010
104 mon amour
5 juillet 2010
Ma rencontre avec un vaudou

Ma mère a toujours eu des idées étranges. Ce n’est pas tant le fait qu’elle se brosse les dents avec un dentifrice Weleda à pâte violette, qu’elle ne jure que par le bio, les oméga 4 et la bourrache et qu’elle considère qu’une salade de boulgour puisse facilement remplacer un bon plat de pasta qui me dérange. Non, ce qui me gène davantage c’est quand elle pique mes peignes pour les mettre derrière la télévision afin d’enlever les mauvaises ondes, qu’elle dispose des grenouilles à 3 pattes dans le salon pour porter chance et qu’elle décore les toilettes de fleurs rouges pour que l’énergie circule. Cette fois j’ai compris que mon père et moi ne pourrions rien faire, elle avait atteint le point de non retour. La maison était devenue le temple du Feng Shui et l’antre de la géobiologie. #yingetyangpower
On avait intériorisé la règle numéro 1 : c’est l’homéopathie qui soignera notre grippe et les fleurs de Bach qui élimineront tous nos soucis. On avait eu des difficultés à appliquer la règle numéro 2, mais on avait finalement cédé : on avait banni le saumon des repas car c’était supposé être « cancérigène », de même que les poivrons et les champignons de Paris car ils sont « souvent traités au dicophol et c’est dangereux ». Bon. Soit. Mais maintenant il fallait désormais intégrer la règle 3, celle qui consiste à dire que les énergies circulent davantage et mieux quand les portes se trouvent en face des fenêtres et qu’aucun mur n’entrave le passage des ondes positives. Cette règle impose notamment de casser tous les murs de la maison et de reconstruire les fenêtres en face des portes. #bienvenuschezlesweirdos
« Maman, ceci est une intervention. Il est hors de question, mais vraiment, de tout péter pour permettre aux esprits de se sentir à l’aise dans notre salon ! »
L’intervention a réussi en beauté, mon père et moi avons gagné la bataille, la règle 3 ne sera pas appliquée. Mais malheureusement pour nous, une règle 3 bis a vu le jour. Perturbée par sa défaite, ma mère a décidé que si nous nous opposions à cette superbe idée -qui est de foutre un grand coup de bulldozer sur notre maison, qui n’est quand même pas anodin- c’est que quelque chose devait clocher chez nous. Du coup, elle nous a pris un rendez vous chez un spécialiste en Feng Shui et en géobiologie pour qu’il nous démontre par A + B que là où le chat s’endort c’est un endroit maudit de la maison, que de ne pas dormir la tête au Nord entraine des troubles mentaux et que, si la porte d’entrée ne donne pas directement sur la fenêtre de la cuisine, alors la catastrophe approche. La grosse blague.
« Maman, comment te dire… Mmmh... tu es folle à liée et je n’ai aucune envie d’aller voir ce charlatan, non mais ça va pas la tête ? En fait je n’ai pas trop envie d’aller à ce rendez vous et je crois que je n’irais pas et puis ça tombe vraiment mal car tu vois c’est le jour que j’avais choisi pour me faire les ongles alors tu comprends… Encore s’il me lisait les lignes de la main ou qu’il me présidait l’avenir ce serait drôle mais bon là il va se prendre pour Confucius et me parler de la rotation de la terre alors très peu pour moi…
- Sérieux, il lit l’avenir ? Il fait des trucs avec des pendules et tout ? Ah mais ca m’intéresse plus déjà ça ! Pourquoi tu ne me l’as pas dit plus tôt ?
- Ce n’est pas un sorcier ? Ben oué je m’en doutais un peu… C’est un radiesthésiste-magnétiseur ? Maman, en fait ce que tu essaies de me dire c’est que c’est un mamadou blanc en gros ?
- Bon ben si le rendez-vous est déjà pris…je ne vais pas le laisser perdre hein ? Bien sûr que je vais y aller ! Et puis ça a l’air de te faire tellement plaisir…
Et c’est comme ça que j’ai rencontré le Elvis de la médecine parallèle, le King of the King des chakras et des auras. Ce fut riche en émotion, assez traumatisant et tellement improbable. Je ne suis pas de nature cartésienne mais je ne suis pas pour autant une adepte du paranormal. Je crois dans les lipides et les effets négatifs du nutella mais je ne pense pas que Jacques Villeret soit vraiment arrivé en soucoupe volante sur le tournage de la soupe aux choux. Je n’ai jamais eu d’ami imaginaire mais je crois en la réincarnation des animaux, ma prof de sport était d’ailleurs une ancienne hyène et mon boulanger se transformera sûrement en porc. Je ne crois pas aux esprits mais j’ai toujours refusé de les invoquer, on ne sait jamais.
Contrairement à ce à quoi je m’attendais, il n’y avait pas de dents de requins, ni de peaux de caméléon séchées dans la salle d’attente. Juste une petite fontaine et un diffuseur d’huiles essentielles. Et des dizaines de diplômes punaisés aux murs : maitre en géo-biologie, Maitre Reiki, Formateur en relaxologie… C’est écrit où qu’il est vaudou le Monsieur? Et pourquoi ce n’est pas écrit qu’il peut jeter des sorts ? Ca se trouve il pourrait me faire un filtre pour envouter Julian Brugier et le faire tomber fou amour…
« Mademoiselle, bonjour ! Enchanté, je suis Monsieur Mamadou* (*le nom a été volontairement changé). Veuillez me suivre s’il vous plait. Allongez-vous sur cette table et fermer les yeux s’il vous plait ».
Bon. La séance a duré 45 minutes. Quand j’ai rouvert les yeux j’avais 25 petites pierres en formes de triskèles sur moi, une lumière rouge sur les jambes, un pendule qui tourbillonnait au-dessus de mon ventre et les mains chaudes (bouillantes plutôt) du sorcier, euh pardon, radiesthésiste sur mes épaules.
« Ne bougez pas, je suis en train de vous ré-énergétiser, vous étiez vraiment faible, vous avez passé des moments difficiles ces derniers mois ? Beaucoup de stress ? Des examens ? Votre taux de moral est beaucoup trop bas pour votre âge, aérez-vous, marchez, écoutez les petits oiseaux !!
- Euh ben oui effectivement c’était un peu dur le boulot mais…je pensais que…enfin pour moi tout va bien !
- Non, non, tout ne va pas bien.
- Ah.
- Et ça vient d’où votre manque de confiance en vous ?
- De quoi ? Pardon ? Quel manque de confiance en moi ?
- Je l’ai vu, votre taux est largement inférieur à celui exigé, il faut que vous preniez confiance en vous.
- Euh…
- Et j’ai aussi détecté un excès au niveau de la nourriture. J’ai vu que c’était davantage les sucreries que la charcuterie alors on y va mollo sur le chocolat ok ?
- Mais ? Comment vous savez ça? Bon… ok….
- Et sinon beaucoup de maux de tête n’est ce pas?
- …Oui effectivement…et des vertiges aussi…
- Ben oui j’allais vous le dire, votre aura était décalée, c’était normal que vous ayez des vertiges, je l’ai remise droite, tout est arrangé.
- Quoi ? Mon aura ? Mais vous la voyez, la touchez ?
- C’est mon métier mademoiselle. Je peux même vous dire sa couleur.
- …
- Si elle était grise vous mourriez sous peu, mais rassurez vous, elle ne l’est pas ah ah.
- (rire nerveux). Tant mieux alors.
- Et vous avez 3 chakras fermés, il faut que je vous aide à les ré-ouvrir.
- Ah oui, comme Arielle Dombasle dans Un indien dans la ville ? Ah ah (blague vaseuse)
- …. (non réceptivité de Monsieur Mamadou à mon calambour).
- Mais sinon tout va bien, vous avez un cœur sain, au sens propre comme au sens figuré. C’est tout à votre honneur.
- Oh. (joues rouges) »
Et le débriefing a continué. Je suis restée allongée encore 10 bonnes minutes à me faire injecter des « boules d’énergies » pendant qu’il me décrivait mes problèmes psychiques et physiques. Il est tombé juste à chaque fois. C’était assez déstabilisant.
La rationnelle qui est en moi dira que mes cernes sous les yeux et mon petit ventre gonflé lui ont indiqué ma fatigue et ma gourmandise mais pour les autres choses je n’ai aucune explication…
20 juin 2010
Scène de bataille
#lavielibrementinspiree
Gloria gisait contre le mur du fond où on l’avait traînée afin de la mettre à l’abri des éclats de verre. Ses deux jambes étaient allongées dans une position bizarre. Elle avait été touchée au genou droit. Son visage était sale et couvert de sueur, luisant sous les phares des projecteurs. Il faisait très froid. Félix était assis à ses côtés, le visage déformé par la peur, ses vêtements éparpillés autour de lui. Gloria regardait droit devant elle, le regard brillant. L’épais rideau en velours de la scène s’était écroulé et une tringle en fer était restée accrochée toute tordue piquant du nez vers le sol. Des cadavres de bouteilles gisaient sur l’amas de tissu à l’ombre de la paroi. Plus loin dans le décor il y avait d’autres cadavres. Les choses allaient bon train dans la salle. Tout marchait bien. Les pompiers n’allaient plus tarder à arriver. Gloria tourna la tête et regarda Félix : « Ecoute moi, Félix, écoute. Toi et moi, on a signé un contrat séparé. » Félix restait immobile sous le spot, respirant avec peine. « On n’est pas lié. » Gloria détourna la tête et un sourire naquit sur son visage, au milieu des trainées de sueur. Félix était un public décevant.
8 juin 2010
Souvenirs biaisés
#memorystick
Je suis là, les yeux cerclés de noir, à regarder Channing Tatum se faire transpercer par deux balles et mourir à petit feu et je repense à hier soir. Le téléphone vibre, ça doit être toi. Ça attendra. Et puis la vibration est sourde, le temps que je le trouve, tu auras déjà raccroché.
Ce film est vraiment nul, j’aurais peut être du répondre finalement. Tu m’aurais raconté tes déboires avec les clientes et je t’aurais interrompu en fredonnant que j’étais nostalgique. Tu m’aurais demandé de quoi et je t’aurais répondu de ça et de ces réveils endoloris sur la plage, des ces après midi caniculaires sous la moustiquaire, de ces diners citronnés, de ces nuits à fumer tes Camel et à s’enrouler dans des draps humides. La réalité est trop prosaïque, je n’ai pas envie de te dire que je passe mes journées dans des amphithéâtres à commenter la réforme des retraites et à savoir pourquoi il y a un pot de fleur fané dans un frigo. Je ne veux pas te parler de mes cours et concours qui n’ont de citronné que l’acidité. J’aime mieux rêver avec toi.
Ah, tu ne m’as pas appelé en fait. C’était le signal de la batterie faible. Hum.
De toute façon tes clopes elles puaient, la crème solaire tu l’étalais mal et à quoi ça servait de mettre un masque et un tuba dans 10 cm d’eau ? T’avais l’air con avec. C’est de ça et de ton short délavé Rip Curl que j’aurais du me souvenir hier soir. Et merde.
25 mai 2010
20 mai 2010
Imagine all the people
#auxpremièresloges

Quand les derniers rayons de soleil ont fini de chauffer mon visage, j’ai réalisé que j’avais passé la journée derrière cette fenêtre sans jamais l’ouvrir.
Alors, avant que le soleil ne disparaisse, je me suis posée sur le balcon et, accoudée à la balustrade, j’ai regardé le ciel rougir. Encore doré à certains endroits, il prenait des teintes orangées et rosées là où la boule de feu divulguait ses ultimes faisceaux. La lumière diffusée était celle des soirs d’été, une lumière ocre et ambrée qui sublime la ville et ses habitants. Sur la terrasse des cafés, on ne remarquait que les reflets blonds dans les chevelures des filles. Auparavant si fades, elles prenaient désormais une autre dimension. A tel point que je portais mon attention sur l’une d’entre elles. Avec ses longs cheveux blond vénitien elle me faisait penser à une baigneuse de Renoir. La peau albâtre et les traits fins, elle affichait un regard grave qui contrastait avec les éclats de rire des tables d’à côté. Les mains sur sa taille semblaient enlacer un ventre rond, plus rond que d’ordinaire. Soudainement, une de ses mains cessa de caresser l’embonpoint pour venir essuyer une larme. Cette femme m’attristait, alors que j’aurais voulu rêver et m’évader dans les calle brulantes d’Argentine, j’étais en train d’inventer la vie d’une inconnue au diabolo fraise. Enceinte de 6 mois, elle venait sûrement d’apprendre que son mari avait une liaison. Ou pire, que le père de l’enfant n’était pas le vrai père. Ou pire encore, que son mari venait de la quitter la laissant seule pour élever l’enfant. Ça y’est, j’étais partie dans mes tergiversations. Il était préférable que je porte mon regard sur quelqu’un d’autre. Comme ce gars en face, seul sur son balcon, qui regardait la ville s’éteindre. Au début, je pensais qu’il avait les yeux dans le vide, perdus au milieu des pots d’échappement. Puis, je remarquais qu’il observait lui aussi la jeune baigneuse. Sur un carnet de dessin, il frottait maniaquement son fusain. J’étais trop loin pour en avoir la confirmation mais je pense qu’il la dessinait. Ça devait être un artiste, un peintre, de renom sûrement. Et si les deux protagonistes se connaissaient ? Si c’était une mise en scène entre eux deux? S’il lui avait demandé explicitement de descendre, de s’assoir à cette table et de pleurer pour que son dessin soit plus significatif ? Et si c’était le père de l’enfant qui regrettait déjà son choix d’avoir quitté sa femme et tentait d’immortaliser les derniers instants. Et si c’était un psychopathe qui dessinait ses victimes avant de les tuer ? Devais-je prévenir la police tout de suite ou attendre un peu ?
Voilà pourquoi je n’ouvre jamais les fenêtres.
16 mai 2010
Voyage initiatique
#tetedemaure
C’est un ancien carrelage écaillé noir et brun qui mène jusqu’à la porte d’entrée. Une porte lourde en bois vieilli qui sent bon la Corse, la vraie, la profonde. Pas celle que je retrouve chaque année dans ma maison de vacances à moi. Celle-là donne sur la place poussiéreuse de Muracciole où les enfants dérapent dans le gravier avec leurs faux BMX pendant que j’essaie de faire mes devoirs. Ils veulent m’emmener dans l’ancien tunnel qui abrite maintenant des chauves-souris mais j’ai promis de finir ma chorégraphie avec la nièce de celui qui vit ici. Elle m’impressionne à naturellement inventer ses mouvements sur Upside Down alors que je ne comprends pas encore l’anglais. Son air moqueur me rappelle les pépés qu’on a croisés la veille en rentrant du torrent, tous assis à la traîne sur un banc avec un chien goguenard à leurs pieds. Demain elle a promis de me montrer un bassin dérobé où on peut se baigner nues. Elle dit qu’une fois que j’aurai découvert la liberté de l’eau contre toutes les parcelles de ma peau je ne pourrais plus m’en passer. C’est froid au début, surtout en haut des cuisses, puis mon corps s’habitue et elle m’éclabousse jusqu’aux épaules. L’eau est pure, je découvre. On s’enfuit mal enveloppées dans des paréos trempés volés aux parents quand le groin humide d’un cochon sauvage surgit dans les fougères derrière nous. Pendant qu’on rentre à pied sur la route sinueuse en évitant les voitures elle me demande de lui raconter ma Corse à moi ; celle d’en bas, celle que le continent a créé près de la mer et qu’elle ne voit jamais qu’en arrivant à l’aéroport. Je parle d’Ajaccio, du port, des glaces qu’on y prend au milieu des yachts et des blacks qui vendent leurs bibelots, du chemin du retour par la rue Fesch et du nectar de poire que ma grand-mère aime boire à gauche du palais. Je parle du viaduc à la sortie de Mezzavia, de mon grand-père qui s’extasiait toujours sur ses grandes pattes pierreuses et des quelques moutons qu’on voit encore parfois passer dessus. Je parle de la chaussée cabossée jusqu’à Lava, de ses bords parfois brûlés parfois verdoyants, de la maison en crépis, du toit en tuiles et du jardin bordé d’ibiscus et d’agaves. Je parle des incendies qui adviennent souvent, de ce qu’on les attend fébrilement avec mes cousins pour voir surgir les canadairs derrière la dune, du bruit assourdissant qu’ils font et de l’excitation qu’on a à les voir frôler l’eau pour remplir leurs ailes disgracieuses. Je parle de la vieille méhari orange dans laquelle on s’entasse tous pour remonter de la plage, des batailles pour passer en premier à la douche et des plantes de pied qui brûlent sur la terrasse en carrelage. Je parle de mon oncle qui tranche la coppa pour le déjeuner, de l’odeur du basilic qui remplit mes narines jusque sur la mezzanine quand je me change et des beignets au brocciu qu’on mange en dessert. Je parle de l’heure sacrée de la sieste, des orteils de mon frère qui dépassent du hamac, de l’odeur du lentisque dans lequel on s’invente des cabanes et des épines de pin qui tombent sur les parents pendant qu’ils jouent au scrabble. Je parle des 16h fatidiques où on a enfin le droit de redescendre à la plage, du chemin graveleux, remplis d’épines qu’on se presse tous de prendre pour être les premiers et des camions de cirque qu’on découvre parfois sur le parking. Je parle des excursions en bateau, de celles qu’on pousse jusqu’aux sanguinaires à la fin août pour l’anniversaire de maman, de notre recherche inlassable du rayon vert parmi les roches rouges et du retour plus calme où on s’endort dans les vagues. Je parle de l’attente de la tempête annuelle pour sortir les bodyboards, des cascades qu’on fait dans les rouleaux, du corps râpé par le sable qui brûle sous la douche et des cheveux emmêlés par le ressac. Je parle des parties de beach-volley organisée contre l’autre partie de la plage, celle où les garçons sont intimidants et roulent en quad. Je parle des bracelets miraculeusement retrouvés dans le sable, des traditionnels apéros qu’on organise dans l’eau et de la musique qu’on met comme dans la pub Hollywood pendant les feux d’artifice. Je parle des réveils à l’aube pour aller faire du ski nautique sur l’eau encore lisse, du gilet de sauvetage trempé par celui qui est passé avant, du pied qui coince pour entrer dans le chausson en caoutchouc et du flotteur qui nage à côté pour ne pas perdre la planche. Je parle des concours de bouée et de wakeboard qu’on fait lorsqu’il y a trop de houle, de l’avant du zodiac qui se braque sous le poids du démarrage et du vent qui déboule sans prévenir en renversant les serviettes dans l’eau. Je parle du retour triomphant sur la terrasse, des jumelles que les curieux ont laissées sur la table, du petit déjeuner qu’on prend devant la mer et de l’odeur de la fougasse grillée. Je parle des longueurs quotidiennes que les mamans font jusqu’aux 300 mètres, du début qu’on partage avec elles, des planches à voile qu’on évite, et des premiers bateaux amarrés auxquels on s’arrête pour bronzer puis plonger comme des gamins. Je parle des planches qu’on pique pour en faire des radeaux, du fait qu’on essaye tous de monter debout dessus malgré les vagues, des jambes qu’on racle en tombant, des yeux qui piquent et de l’eau qu’on avale. Je parle des légumes qu’on achète au bord de la route chez la maraîchère, des pizzas qu’on mange dans la paillotte du village, des enfants avec lesquels on se bat à la table voisine et des courses qu’on fait dans les lauriers pour éviter la nourriture. Je parle du ciel bleu, bleu, bleu de mon enfance et elle m’écoute. Elle m’écoute alors qu’hier encore elle m’apprenait railleusement l’anglais. On s’arrête au café de Rose pour prendre un coca dans des verres à bière sur le comptoir carrelé. Les tabourets sont trop grands pour nous, et les vieux monsieurs corses qui jouent aux cartes avec leur bouche édentée et leurs casquettes poussiéreuses m’auraient normalement inquiétés. Mais plus maintenant. Plus maintenant parce que demain on repartira dans notre espace Renault dégueulasse où je pourrai emboîter mon coca dans la tablette arrière. Et plus maintenant parce que demain je serai de retour dans ma fausse Corse à moi. Sauf que cette fois j’aurais grandi. Je n’aurai plus peur de ce sable qui se déforme à mesure que je m’éloigne du côté familial comme pour me dire : basta t’es plus chez toi maintenant, t’es une vraie si t’oses aller là bas. Là bas où les vagues sont plus grosses et les mecs plus beau gosses mais nettement moins sympas.