4 octobre 2010

Jules et Jim

#letourbillondelavie




« Je pense à cet artilleur que j’ai connu à l’hôpital, en revenant de permission il a rencontré une jeune fille dans le train, ils se sont parlés entre Nice et Marseille. En sautant sur le quai de la gare elle lui a donné son adresse. Et bien pendant deux ans, tous les jours il lui a écrit frénétiquement depuis les tranchées, sur du papier d’emballage, à la lueur des bougies. Même quand les obus pleuvaient, les lettres se faisaient de plus en plus intimes.

Au début il commençait « Chère mademoiselle » et terminait par « Mes hommages respectueux ». A la troisième lettre il l’appelait « Ma petite fée » et lui demandait une photographie. Puis ce fut « Ma fée adorable », puis « Je vous baise les mains », puis « Je vous baise le front ». Plus tard, il lui détaille la photographie qu’elle lui a envoyée et lui parle de sa poitrine qu’il a cru deviner sous le peignoir. Et bientôt il passe au tutoiement, « je t’aime terriblement ». Un jour il écrit à la mère de cette jeune fille pour lui demander sa main. Dès lors il devient son fiancé officiel sans jamais l’avoir revue. La guerre continue et les lettres deviennent toujours plus intimes, « Je m’empare de toi mon amour », « Je prends tes seins adorables, je te presse absolument nue contre moi. Lorsqu’elle répond un jour un peu froidement à l’une de ses lettres il lui prie de ne pas faire la coquette parce qu’il peut mourir d’un jour à l’autre. Et il dit vrai !

-Voyez-vous Jules, pour comprendre cet extraordinaire dépucelage par correspondance, il faut avoir connu toute la violence de la guerre des tranchées, cette espèce de folie collective et cette présence de la mort minute par minute. Voilà donc un homme qui, tout en participant à la grande guerre, a su mener sa petite guerre parallèle, son combat individuel, et conquérir totalement une femme par la persuasion à distance.

-Quand il est arrivé à l’hôpital il était comme vous Albert, blessé à la tête, mais il n’a pas eu votre chance. Il est mort après la trépanation, à la veille de l’armistice. Dans sa dernière lettre à sa fiancée inconnue, il écrivait « Tes seins sont les seuls obus que j’aime ».

5 septembre 2010

Têtu

#jeveuxetreunsupersonique


Le ciel était bleu. Je voulais tellement célébrer mon dernier jour de stage que je n’ai pas hésité. J’ai enfilé une petite robe corail, des sandales bridées et j’ai affronté le tout Paris, celui aux gens tristes et ternes qui se cachent sous de longs trenchs sombres et osent déjà porter la collection automne hiver. En fait l’azur n’était qu’un artifice, il faisait 10 degrés et le vent était glacial. Je m’étais bel et bien fourvoyée. Mes jambes nues et huilées faisaient jaser dans le métro. Je les voyais tous hausser les sourcils derrière leurs journaux gratuits, attentifs au moindre de mes frissons pour mieux se délecter. Dans une semaine, ces même rapaces liront le très attendu Houellebecq et leurs regards méprisants se jetteront alors sur ceux qui auront l’affront de terminer leur ouvrage estival, à la couverture sableuse et collante qui rappelle l’océan.
Leur moqueries m’importaient peu, le soir même je m’envolais là où le soleil brule la peau et où les dédaigneux ont la vie dure.

Sur place, je retrouve un vieil ami devenu pilote, loin de ressembler à Tom Cruise dans Top Gun, mais tout autant séduisant. Après avoir évoqué les vieux souvenirs des années lycées et cassé du sucre sur nos rivaux de l’époque, je sens qu’il commence à amener la discussion sur son sujet de prédilection… l’aéronautique. C’est un thème épineux que je ne maitrise en aucun point et qui me provoque régulièrement des bâillements incontrôlables. Je tente le tout pour le tout et j’évoque en pagaille Master Chef/la mort de Fignon/le vernis fluo pour les ongles de pied/les Universités d’été/les toc chez les enfants mais c’est un #fail grandiose.

Et son récit commence. Il me raconte qu’il a longtemps pris les commandes d’un Airbus A380, stable et immuable. Il le connaissait par cœur, il savait parfaitement comment le manœuvrer et le guider, il n’avait plus de secrets pour lui. Mais le mois dernier, lors d’un long courrier, l’atterrissage s’est mal passé. Depuis, il renonce d’en entendre parler et jure qu’il ne remontra jamais à son bord.
Il me confie que désormais il aimerait bien piloter un avion de chasse ou un petit coucou. Ah ça oui, il s’imaginerait bien caresser la carrosserie de ces supersoniques rutilants ou prendre soin de ces aéroplanes fragiles.
Je me prends au jeu. Je lui parle rapidement des modèles vintage, ceux aux moteurs froids, aux ailes cassées, à la peinture rayée, et aux manettes rouillées. Il en pense quoi de ceux là ?
Il m’avoue qu’en avoir piloté un avant l’A380 lui a permis de comprendre qu’il n’était pas fait pour lui. Trop compliqué à manier. Sa réponse est tranchante, sans compromis possible. Inspirée par la bouteille de Bordeaux qu’on venait de se siffler je lui suggère que plus un vin vieillit, meilleur il est, et que c’est peut être aussi le cas pour les vieux charters qu’on met de côté. Je veux le persuader. « On peut mettre de l’huile dans le moteur pour les faire chauffer, on peut faire briller leur carrosserie et les ailes peuvent se réparer, non ? »

« Non, ce sera toujours trop compliqué».

28 août 2010

Just another of those glory days

#girlsjustwannahavefun
Il est tard. Dans une discothèque provinciale, deux filles sont installées sur une banquette. Le DJ passe un son électro expérimental qu’elles ont fait semblant d’aimer pour se faire payer des verres par deux prétendus journalistes. Elles s’ennuient ferme. Face à leur Gin Tonic, entre deux sourires, elles cherchent un truc drôle à dire quand la guitare de Heavy Cross se fait entendre.  Leurs yeux se croisent sur les notes cristallines et elles se mettent à hululer en rythme pour imiter Beth Ditto : « It’s a cruel cruel world to face on your own… » Les types rigolent mais elles s’en foutent, les gens se sont mis à danser. Le rythme s’accélère et elles se lèvent pour crier: « I TRUST YOU, IF IT’S ALREADY BEEN DONE, UNDO IT. » Un gamin improbable arrive pour imiter le guitariste tandis que les deux filles continuent de s’égosiller à pleins poumons en sautant dans tous les sens. Au moment du break, elles vont se placer sur un podium dans la lumière rasante pour susurrer « ah ah aïe, ooohohoh yeahay, ah ah ah ah ah AÏE, OHOHOH, YEAHAY YEAHAAAAY. » Puis elles sautent à la reprise du refrain, glissent sur leurs genoux, applaudissent leur musicien fictif et retournent à leur table pour prendre leur première gorgée de Gin, #ilfaitsoif.
Et voilà comment est née notre idée stupide de monter un groupe... Suite à quelques collants filés, des cheveux collés par la sueur et l’ironie de deux pigistes imbibés : « Alors les filles, ça vous tenterait pas la scène, vous semblez plutôt à l'aise? » Tout ça alors qu’on ne connaît rien au solfège ni aux accords et que nos potes du collège nous jetait des pièces en cours de musique parce qu’on chantait faux #alwaysdreambig.
Ouais mais si on veut que notre groupe marche, dans un premier temps il nous faut un nom putassier, un blaz’ de bâtard qui claque. Pas un nom de chamallow rouillé qui évoquerait la paraffine et les champs de coton. Bruno Vandelli nous a bien proposé sa manne d’inspiration mais on a trouvé qu’il était plus sage de refuser #remember. On préfère un brainstorming en mode Moleskine : il nous faut un nom à la fois sobre mais coloré, crédible mais déphasé, subtil mais évident. Il y a la piste du nom de groupe animal à l’instar des Artic Monkeys, Grizzly Bear ou Pony Pony Run Run mais on peut vite virer esprit 30 millions d’amis et Les Malbrouk comme nom de scène ça n’envoie pas vraiment du fat. AC/DC, LMFAO, R.E.M, MGMT, ont marqué les esprits grâce à leurs initiales, mais les PZK ont voulu essayer, et ils ont échoué, donc on évitera ce chemin sinueux. Et si on mettait un chiffre comme U2, The XX ou Maroon 5 ? Genre Frenchies 88 ou AprilNatives 716 ? Ca aurait un petit esprit Meetic meets Chatroom pas des moins adaptés, non ?
Bon ensuite il faut lancer le groupe. Pour se faire on pourrait réaliser un clip et créer le buzz sur Twitter. Bye bye les labels et les maisons de disques, hello le monopole des réseaux sociaux et le personal branding. On réaliserait une vidéo en noir et blanc, digne des grandes années du muet, sur fond de #gabbagabbahey et de sauce Something à la mode. Greta Garbo et  Louise Brooks seraient nos références, nos mentors d'un autre temps.  Ça ferait sacrément l’affaire. Pour le chant, ce serait judicieux de faire la démo aux alentours de 4h du matin, après une soirée enfumée et arrosée, où nos voix, éraillées et voilées, joueraient l’illusion parfaite. 
Il se pourrait que ça marche, que l’on troque les ballerines Repetto et les amphithéâtres contre des boots sulfureuses et la première partie d’Arcade Fire. Il se pourrait aussi qu’on ne fasse rien de tout ça, qu’on repose notre Gin Tonic et qu’on se contente d’aller applaudir nos idoles à Rock en Seine. Ce serait certes moins excitant mais beaucoup plus prudent. Allez Saint Cloud, on descend de notre petit nuage et on débarque, ce week-end on va faire ce qu’on a toujours aimé faire, à savoir chanter faux ET fort ! 

5 août 2010

Make an educated guess

#cruciloliste

« Un optimiste est quelqu'un qui commence à faire ses mots croisés au stylo à bille. »

4 août 2010

Life in plastic, it's fantastic


#sacrérogerjouret


Plastic Bertrand, un mythe qui s’effondre, une déception sans nom. Le héros de toute une génération wallonne n’était en fait qu’un biaiseur de luxe qui nous a luxueusement baisé. Il avait compris la recette du succès, celle qui sera reprise par toutes les pré pubères des années 2000 : se teindre en blond et exceller dans l’art du play-back. Quel précurseur ce Plastic. Il avait même réussi à faire carrière avec un nom pareil. D’après une source proche, pour avoir un bon nom de scène il faut prendre le prénom de notre premier animal de compagnie et le nom de la rue où on habite. Petits florilèges : Chouquette Court Debout, Pompon horizon, Désirée Dufour, Cannelle Les Buissons, Cacahuète de Sébastien ou encore Totor des Ecuries. C’est imparable. Ça marche aussi pour une carrière dans le porno bien sûr.

Le quartier des filles faciles et de la littérature compliquée

#couldwefixyou

« La vie même quand ça se passe bien ça se termine mal. »

Souvent à l’écart, comme suspendu dans un monde à part, il n’est pas asocial, mais il a peur des autres. C’est différent, j’y tiens. Les autres le forcent toujours à être quelqu’un, alors que lui n’est lui que quand il est seul. Physiquement, il n’a rien qui retienne particulièrement l’attention. Il n’est pas très grand, pas spécialement fort ni vraiment beau. Il mène une existence à demi-mot qui tient un peu de l’absurde. À sa noirceur apparente, je mêle une sorte de candeur mâtinée de violence. C’est cette idée de « bonne mauvaise humeur » qui m’a d’abord intéressée.

Terrifié à l’idée qu’il aurait pu être ce que l’on appelle un être « normal », je l’invente hanté par le thème du miroir et de Narcisse. S’arrachant au monde commun, il s’érige en sujet unique et aime à se mirer. À force de se contempler et de s’exalter, son regard transforme tout le reste en objet de conquête. Ne reconnaissant plus d’autre sujet autour de lui, il se prive – volontiers ? malgré lui ? – d’interlocuteurs ou de pairs. Peut-il alors réellement échapper à la solitude ?

Intriguée par cette personnalité en construction, j’observe, je décortique, j’analyse, je construis, je détruis. Je deviens curieuse de savoir comment quelqu’un à ce point dans le déni de l’autre pourrait évoluer face à sa rencontre avec l’amour qu’il ne cherche ni ne veut. Patiemment, progressivement, insidieusement, je tombe amoureuse de mon héros compliqué. Je lui invente des secrets parfois, des excuses souvent. Il parle peu, mais il écrit beaucoup pour s’exprimer. C’est une thérapie joyeuse dont nous usons et abusons avec délectation. Et heureusement car sans ça, du bilan psychiatrique au fait divers, tout était envisageable.

Plus je pénètre profondément en lui, plus sa personnalité embrouillée me résiste. Animée par son brillant esprit de contradiction, je dois envisager nos rapports comme un perpétuel combat dont il faut sortir vainqueur. Au fond nous cherchons la simplicité, l’émerveillement, mais cela passe toujours par des schémas compliqués. Stupéfiant licite disponible en tout lieu, je me surprends à l’imaginer dans toute sa chair sans trop savoir lequel de nous deux se blesse le plus dans ce périlleux exercice d’équilibre.

À force d’être ensemble nous devenons autant complémentaires qu’antinomiques. Il est très nerveux. Il est aussi sentimental, et comme la plupart des hommes sentimentaux, il est tout ensemble cruel et trompé. Les hommes sentimentaux sont si souvent trahis. Son acidité rectifie ma propension à être trop douce, à toujours vouloir attendre un oui alors que c'est non. Enfin peut-être. Mais son personnage dégénère, déteint. Je me perds en voulant à tout prix apporter ma vision du bonheur à cette âme étrangère. Son côté cactus « Ne me touche pas. Admire moi. » m’agite, me tourmente, me désespère. Je me fatigue de sa capacité à faire tourner les autres dans son manège pendant que lui tourne sur lui-même comme autour d'un axe.

Cet axe, c'est ma fidélité à lui-même. Mais elle en fait un terrain stérile sur lequel il impose une dictature amère qui génère en moi un besoin de consolation impossible à rassasier. Tout en lui reste enfoui. Comme un désert. Un vide d’abord enivrant mais dans lequel on ne peut finalement rien construire. Il m’évoque le néant. Le repli. L’oubli. Exaspérée, je finis par le remiser au fond de la corbeille à papier avec tous les autres.

Comme un enfant qui change tout le temps, qui se lasse vite, je ne me retourne pas. Ma curiosité était évanouie depuis longtemps.